mercredi 4 janvier 2012

Asilah, un brassage de cultures et de civilisations

Terre de passage de civilisations multiples, dont elle porte l'empeinte et conserve les vestiges, Asilah a de tout temps été un espace ouvert sur le monde et les cultures. Ville satellite de Tanger, Asilah montre une détermination à rompre avec cette image et s'affirme désormais à travers sa propre identité. 

La cité balnéaire, dont l'économie était construite autour d'un petit port de pêche artisanale, se développe grâce à une infrastructure de base, une vocation touristique de plus en plus affirmée et une autoroute qui a fini de consacrer son désenclavement. 
“Azayla”, comme la prononcent les habitants de la région rifaine, est une petite ville située sur la côte atlantique à 40 km au Sud-Ouest de Tanger. Elle est d'abord connue pour ses sels marins, contenant une quantité suffisante en iode, qui servent à lutter contre la maladie du goitre dont sont atteints des milliers de personnes habitant les zones montagneuses, notamment dans la région de Beni-Mellal. Petite ville de pêcheurs, elle est l'héritière, depuis le Haut Moyen Age de la cité antique de Zilil, située à 13 km au Nord-Ouest. 
Les remparts, édifiés au XVe siècle par les Portugais, donnent, d'un côté sur la mer, et de l'autre, sur la ville. Trois portes monumentales et un passage discret permettent d'entrer dans la médina. Celle-ci a acquis sa notoriété au fil des années grâce à son patrimoine architectural militaire maroco-lusitanien, ses boutiques diverses qui font l'étalage de leurs produits. 
Elle se caractérise par sa remarquable centralité et son originalité par rapport à d'autres médinas. Le souk du jeudi est très animé et bien achalandé. Durant le moussem culturel international qui porte le nom de la ville blanche, tous les murs de la médina se recouvrent de dessins et peintures faits par des artistes du monde et du Maroc. 
C'est d'ailleurs, ce festival qui fait l'originalité de cette petite ville. Son université d'été Al Mouâtamid Ibn Abbad, et son centre de recherches sur l'Afrique, donnent à Asilah une nouvelle vocation et confirment celle qu'exprime son nom “L'authentique”. Cette image est aussi forgée par la réalisation d'un ensemble d'équipements culturels (Palais de la Culture, Centre Hassan II des rencontres internationales, Bibliothèque du Prince Bandar Bin Sultan,…). 
A l'extérieur de l'enceinte, la ville moderne, construite sous le protectorat espagnol, a gardé ses allures andalouses. Ville satellite de Tanger certes, Asilah œuvre pour renforcer son identité, mettre en valeur son potentiel prometteur et varier son offre touristique. Selon un rapport émanant du service des schémas directeurs sur l'aménagement urbain de la ville, “deux facteurs décisifs ont joué contre l'évolution d'Asilah. 
D'une part, elle a été constamment l'objet de destruction dans l'affrontement séculaire entre l'envahisseur espagnol ou portugais et les défenseurs de la ville. Ce qui explique la taille réduite de son espace bâti. D'autre part, les facteurs de relief et de circulation, la médiocrité des activités agricoles de l'arrière-pays et la proximité d'organismes importants dans la péninsule tingitane, ont placé Asilah dans l'ombre de Tanger, Tétouan, Larache et de Ksar Lekbir, coincée entre les aires de rayonnement respectives de ces villes principales de la péninsule tingitane ”. 
Asilah, d'environ 149 hectares avec une population estimée en 2000 à plus de 30.000 habitants, se trouve à moins de 10 mètres d'altitude, ce qui l'expose davantage aux courants océaniques communément désignés par “ Ghdayga ”, généralement pluvieux et permettant une moyenne de 700 mm de pluie par an en hiver. L'été est une saison sèche qui voit, irrégulièrement, souffler les vents d'Est et Sud-est, le “ Chergui ”. Le territoire d'Asilah englobe Kouss-Briech, les rivières de Tahddart, Ghrifa et Oued Lahlou, les villages d'al-Homer, de Tlat-Rissana et de Had al-Gharbiya abritant le site archéologique de Zili. 
Cependant, la situation démographique témoigne d'une situation difficile, confinant parfois à la pauvreté. Malgré le faible attrait de l'émigration, le solde migratoire est resté faible, reflétant par là la léthargie économique de la ville. 
De manière générale, l'examen de la situation économique, à la lumière des données d'une enquête sur les ménages, réalisée depuis quelques années déjà, révèle la faible rentabilité des activités dans les services et le commerce, les indépendants représentant 43% des actifs occupés (contre 17% au niveau national) qui constituent l'essentiel de l'économie de la ville. 
Des projets assez importants sont programmés ou en cours de réalisation : l'autoroute Larache–Tanger désenclavera certainement la ville et son arrière-pays et réduira la fonction de ville de passage que lui impose l'actuelle route la traversant. Ville satellite de Tanger certes, mais elle est en gestation pour renforcer son identité, mettre en valeur son potentiel prometteur et varier son offre touristique. 
Ainsi et suite à la signature entre la commune et certains ministères et organismes publics d'un accord-cadre de partenariat, un projet urbanistique intégré verra le jour incessamment. Il englobe la création d'une zone industrielle anti-pollution, d'une pépinière des PME et la construction d'un marché hebdomadaire, d'un abattoir, ainsi que d'autres équipements publics. 
D'autres projets de réfection de routes, d'eau potable et autres projets sportifs sont également programmés par le Conseil municipal de la ville. Ce dernier, en collaboration avec l'association culturelle Al Mouhit, intervient pour l'amélioration du site : l'éclairage public (Philips France a créé et a gracieusement offert un modèle dénommé “Lanterne d'Asilah”, qui orne les ruelles de la médina), le dallage des rues par une conception originale des pavés par les artistes. 
L'Association participe aussi à l'aménagement de places et de jardins publics. Grâce à cette action, elle a entrepris avec les différentes institutions privées et publiques la restauration et l'aménagement du palais Raissouni datant du début du XXe siècle, ainsi que la restauration de la tour portugaise, le donjon d'Asilah, en collaboration avec la Fondation Gubenkian de Lisbonne. Dans le domaine de l'urbanisme, il faut souligner que l'habitat clandestin est encore prépondérant dans la ville puisqu'il représente près de 60% du parc de logements. 
Pour améliorer la situation, 123 permis de construire ont été délivrés en 2003, 140 en 2004 et 95 autorisations au cours du premier semestre 2005 ”, d'après les statistiques fournies par Abdellah Khaldi, chef du service du plan et d'urbanisme au Conseil municipal d'Asilah. Les potentialités de la ville sont à la fois nombreuses et prometteuses. Si le retentissement culturel n'a pas influé sur l'économie urbaine, il a permis du moins de maintenir la croissance de sa population à un rythme de 2,8% l'an. 
A propos de l'autoroute Larache-Tanger, d'après plusieurs témoignages recueillis sur place, “ le chemin de fer pose et posera dans l'avenir un problème de communication inter quartiers, dans le sens où il traverse la ville dans sa partie Nord. En outre, il longe la route nationale sur une distance de 5,5 km, créant une exiguïté compromettante à l'aménagement touristique futur ”. 
Les responsables de l'aménagement urbain de la ville ont mené une longue réflexion pour déplacer cette voie vers la périphérie. Malheureusement, le relief très accidenté rendrait le coût excessivement cher et éloignerait davantage la gare ferroviaire de la ville. 

L'histoire de la ville vue par Mostapha Zian

Pour ce chercheur en histoire d'essai, l'histoire de la ville d'Asilah est sujette à plusieurs hypothèses, dues à la rareté des références qui se trouvent malheureusement à l'extérieur du pays, notamment dans les bibliothèques portugaises, espagnoles et françaises. Mostapha Zian a écrit que “ d'après de récentes recherches archéologiques, la ville d'Asilah est relativement moderne par rapport à celle qui porte le nom de Zilis dont les vestiges se trouvent à 13 km à l'est ”. 
Vu sa position stratégique, elle a été occupée par les Phéniciens, les Carthaginois et les Romains. Zilis était un grand centre commercial d'où l'on exportait différents produits vers les pays méditerranéens. Mais la ville actuelle a été envahie par les Normands, puis détruite partiellement par les Anglais. 
Elle a été reconstruite en 844 de l'ère chrétienne par les rois de Cordoue, dans le cadre de la conquête islamique. Pendant ce temps, la ville a connu une grande renaissance dans tous les domaines grâce à l'immigration de plusieurs commerçants et artisans andalous. Selon l'auteur, “ la culture et la science n'y étaient pas absentes. La présence du poète Ibrahim Ben Mohamed Al Assili, venu de Séville, et de son fils, le grand érudit Mohamed Ben Ibrahim Al Assili, décédé à Cordoue en 1022 de l'ère chrétienne, en sont les meilleurs témoins ”. Mais, vu sa position, elle a été l'objet de convoitises par des puissances de l'époque. 
Ainsi, elle a été une nouvelle fois occupée par les Portugais qui ont été contraints, grâce à la fameuse bataille des Trois Rois (Oued Al Makhazine) à se retirer. Cette bataille, du 4 août 1578, connut la mort du roi du Portugal sur le champ de bataille, ainsi que celle des deux Sultans, Abdelmalek et El Moutaouakil. Asilah tomba ensuite aux mains des Espagnols. Le Sultan saâdi Ahmed El Mansour arrache la ville aux Espagnols en 1589. 
Ceux-ci en reprennent possession plus tard. Moulay Ismaïl la libère en 1691. La ville reste alors marocaine jusqu'à l'installation du protectorat, en dépit de son bombardement par les Autrichiens en 1829 et des évènements troublants en 1906 provoqués par Ahmed Raisouli, dit “ Le brigand ”, et de ses inopportunes alliances, qui s'empare de la ville après avoir semé la terreur, pendant plus de 30 ans, dans les régions de Tanger et Tétouan. Mais ayant soutenu les Allemands pendant la Grande guerre, la victoire des Alliés précipita sa chute et en 1925, il fut capturé par Abdelkrim. 
Puis, elle est restée occupée par les Espagnols qui l'ont quittée en 1956 (date de l'Indépendance du Maroc). La médina renferme encore les vestiges témoins de ces civilisations, à savoir les murailles portugaises, le donjon Kamara, les portails… La ville a également connu une grande période de cohabitation exemplaire entre musulmans, chrétiens et juifs dont la synagogue existe encore, mais en ruines. Le Palais de la culture, qui est considéré comme un chef-d'œuvre de l'architecture andalouse musulmane, a été construit en 1906 par Ahmed Raissouni. “ Il a été restauré grâce à l'intervention louable de la Fondation du Forum d'Asilah en août 1996 ”, conclut M. Zian. 

Une destination touristique

La situation géographique de la ville d'Asilah, l'immensité de ses plages de sable fin au Nord et sa côte rocailleuse, à falaises parfois rudes, au Sud, font d'elle une ville de plus en plus fréquentée par le tourisme national et international. En effet, l'un des atouts majeurs de cette ville est son littoral, découpé en sites représentant des entités homogènes à vocation touristique. Asilah est incontestablement l'une des rares villes du Maroc qui exercent une séduction singulière sur les nombreux visiteurs nationaux tout au long de l'année de par son rayonnement culturel et artistique, la beauté de son environnement et le charme discret de sa plage qui longe l'Atlantique. Des statistiques de la délégation régionale du tourisme à Tanger relèvent que la moyenne annuelle de séjour des touristes nationaux s'élève à 6,2 à Asilah, contre 2,7 à Tanger et 2,35 dans l'ensemble de la région de Tanger-Tétouan. Au moment où l'activité touristique de la région compte, pour son épanouissement, sur les établissements d'hébergement classés et la gamme de prestations hôtelières, Asilah fait valoir la générosité de sa population et sa passion pour l'exquis à travers l'aménagement de maisons chichement équipées au profit des locataires. 
Nul doute que ce produit répond aux attentes des ménages marocains, en particulier ceux issus des classes moyennes, tant il leur permet de se retrouver en famille et de passer des vacances dans des conditions idéales et à moindres frais. Différentes investigations ont montré que la ville d'Asilah reçoit plus de 21.000 de vacanciers, essentiellement pendant les mois de juillet-août-septembre. De la richesse de son histoire et son sens d'ouverture spontanée sur le monde, Asilah a su diversifier l'offre et commercialiser son produit touristique, mettant à profit sa position de carrefour incontournable pour les artistes marocains et étrangers dont le rayonnement ne cesse de s'accroître à la faveur de l'Université d'été et du Festival culturel de la ville. 
Agrémenté par la finesse de l'art culinaire particulièrement prise pour les fameux plats de poisson qui font la fierté des Zilachis, le pouls de la ville et le rythme, au fil des saisons, par les flux incessants des visiteurs épris par son calme, la beauté de son architecture, la simplicité intime de son cadre et le bruit du Ressac sempiternellement renouvelé de l'Atlantique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire